Tribune rédigée par Lisa Carayon, Sarah Durieux, Camille Froidevaux-Metterie, Stéphanie Hennette-Vauchez, Mathilde Larrere et signée par plus de 110 universitaires, médecins et chercheur·e·s
Depuis plusieurs mois, par voie de presse, sur les réseaux sociaux, par la dégradation de ses locaux ou l’intimidation de ses membres, le Planning familial a été continuellement attaqué. Attaqué pour le soutien et la visibilisation qu’il apporte aux personnes trans, attaqué aussi pour son rôle dans l’accès à l’avortement. La dernière de ces offensives a pris la forme d’une tribune, signée par de nombreuses personnalités du monde académique et du champ de la psychanalyse, qui s’achevait par un appel à couper les subventions publiques versées à cette association historique.
Il ne s’agit pas ici de revenir sur l’ineptie qui consiste, par ces prises de position, à nier la construction sociale et historique des rôles de genre, ni de rappeler l’immense diversité des corps et la façon dont ils sont quotidiennement soumis à la binarité des normes genrées. Nous renvoyons sur ces questions à l’abondante littérature scientifique élaborée depuis des décennies et aux outils pratiques conçus par les associations de personnes concernées.
Ce que nous voulons rappeler ici, c’est que si Le Planning familial est aujourd’hui, dans toutes ses actions, aux côtés des personnes trans, c’est qu’il est, depuis sa fondation en 1956, partie prenante de toutes les questions féministes et de toutes les luttes en faveur des personnes minorisées et discriminées (anti-racisme, anti-validisme, anti-sérophobie, etc.).
Oui, Le Planning, mouvement féministe et d’éducation populaire, évolue continuellement, c’est son rôle que d’entendre les nouveaux débats qui traversent la société et qui sont portés, aussi, par les personnes qu’il reçoit.
Si les attaques les plus récentes se concentrent sur l’activité d’éducation à la sexualité et conteste la visibilisation que le Planning donne, à cette occasion, à l’existence des personnes trans, elle passe totalement sous silence l’essentiel de ses autres activités. Au quotidien, le Planning agit pour la santé et la sécurité des personnes, quelles qu’elles soient. Tout d’abord en offrant un accès libre et gratuit aux droits sexuels et reproductifs (santé sexuelle, contraception et avortement) et, ensuite, en accueillant les victimes de discriminations et de violences sexistes et sexuelles. Chaque année, ce sont ainsi plus de 320.000 personnes qui sont reçues pour être écoutées et accompagnées, dont plus de 75% de femmes, environ 20% hommes et moins de 2% de personnes s’identifiant autrement.
Une question vient donc immédiatement à l’esprit : que veulent donc les auteurs de ces brûlots qui appellent publiquement à priver Le Planning de ses financements ? Qui peut oser réclamer que l’on prive toutes ces personnes, dont une majorité de femmes, de soins et de soutiens indispensables ? Se rendent-ils compte, ces intellectuels, médecins et psychanalystes, qu’ils font le jeu des anti-avortement ? Ne voient-ils pas qu’ils offrent ainsi une légitimité aux violences de l’extrême-droite dont Le Planning est régulièrement victime ? Ne voient-ils pas qu’ils s’alignent sur les programmes de cette partie de l’échiquier politique qui porte, depuis des années, cette revendication de suppression des subventions publiques aux mouvements féministes ?
En attaquant Le Planning familial, c’est à la protection des droits reproductifs en général que l’on porte atteinte. Aux États-Unis, la suppression de la protection constitutionnelle du droit à l’avortement par la Cour suprême en juin dernier a ramené le pays cinquante ans en arrière. Près de 60% des Américaines se retrouvent désormais dans l’impossibilité d’avorter simplement et librement. Outre que cela constitue un coup terrible porté aux droits des femmes, cela les exclut aussi du projet démocratique moderne. Car comment considérer que les femmes sont aussi libres et égales que les hommes lorsqu’elles risquent de mourir des suites d’un avortement pratiqué dans l’illégalité et qu’elles ne sont pas maîtresses de leur vie féconde ? Plus largement, comment espérer une société où la sexualité soit vécue sans violence, entre des personnes bien informées sur leur corps et leurs droits, comment espérer une jeunesse protégée contre les IST et contre les parenté non-désirées sans un véritable investissement de l’éducation à la sexualité, activité au coeur des actions du Planning familial ?
Ces offensives récurrentes contre les droits reproductifs - qui marchent main dans la main avec celles menées contre les minorités LGBTQI - sont une réalité qui ne concerne pas que les États-Unis ou la Pologne. En France, elles visent à délégitimer et à fragiliser Le Planning, sans voir que les droits à la contraception et à l’avortement, l’accès à une information de qualité sur la santé et la sexualité ne sont pas des acquis, mais doivent être défendus chaque jour.
Nous attendons donc de l’État, des femmes et des hommes politiques de tous bords, des acteurs et actrices de la société civile, qu’elles et ils réaffirment leur soutien indéfectible au Planning familial, comme un maillon indispensable dans l’accès aux droits et à la santé des personnes, partout sur le territoire. Vouloir priver Le Planning de ses subventions, c’est mettre en péril les droits fondamentaux à la liberté et à l’égalité. Pour toutes et tous.
Premiers signataires
Michelle Perrot
Annie Ernaux Martin Winckler
Camille Kouchner
Didier Fassin
Liste des autres signataires